pour clarinette basse et percussions
enregistré le 29 Juin 2017 au CNSMD de Lyon
Christine Cochenet, clarinette basse
Lou Renaud-Bailly, percussions
AVANT-PROPOS
Chaosmogonie est un mot valise, une contraction des mots chaos et cosmogonie. La cosmogonie réunit toutes les représentations des origines du monde, qu’il s’agisse de récits imaginaires, de croyances religieuses ou de conjectures scientifiques. Dans le domaine de la science-fiction, l’exposition d’une cosmogonie est un postulat primordial et nécessaire ; ce que confirme d’ailleurs Paul Valéry : « le monde est à peine plus âgé que l’art de faire le monde ». En cosmogonie, le chaos correspond à l’état de vide avant l’intervention d’une force créatrice qui génère la vie : le chaos originel. Il correspond à un état de la matière d’apparence désordonnée. Il s’agit bien seulement d’une apparence car le chaos ne suppose pas la même imprévisibilité que le hasard ou l’aléatoire. Dans la théorie du chaos, on conjecture qu’un phénomène initial est bien à l’origine de ce désordre : le fameux effet papillon. La différence fondamentale entre l’aléatoire et le chaos n’est finalement dû qu’à l’existence (ou non) d’un niveau supérieur de perception capable d’expliciter la causalité des événements. Par principe d’entropie, le chaos présuppose donc l’existence d’un créateur.
Dès le début de la pièce, il y a une mise en abyme de l’acte de création : un chaos originel ; comme si le temps de l’audition, le temps du concert, se superposait au temps de l’écriture. Le matériau musical initial est plutôt restreint et la faible intensité sonore impose à l’auditeur une écoute attentive. Cependant, les grandes caractéristiques du matériau musical de toute la pièce sont déjà présentes : un traitement vocal égal, trois valeurs rythmiques dominantes et un système harmonique tétratonique. Tout l’intérêt réside dans le suivi de l’évolution de cette matière en germe générée ex nihilo qui, avec des règles et des comportements qui se mettent en place, donne forme à un système pré-audible. Cependant, pour maintenir un suspense, des éléments prennent le contrepied, enfreignent les règles et s’emploient finalement à détruire ce système, à le rendre de plus en plus chaotique. Par leur présence, ces gestes indéterminés apportent une dose d’humour et d’ironie et bouscule une destinée trop prévisible. Parfois, c’est même leur absence (slap de clarinette, jeux à quatre baguettes au marimba) qui interpelle. Malgré ces incidents, le développement musical fait apparaître clairement un long processus d’accroissement de l’intensité sonore et une convergence d’un matériau hétérophonique vers l’unisson. À la fin, le chaos devient « KO » ; la grande organicité qui transcende l’idée de cosmogonie laisse place, sans possibilité de retour, pour conclure à une matière musicale plus libre, plus improvisée, due en partie à des modes de jeux aux émissions sonores plus incertaines (multiphoniques, balles rebondissantes frottées sur peau). De ce fait, entre liberté et consignes précises d’exécution, improvisation et construction organique, cette pièce réclame aux interprètes une grande complicité.
Lou Renaud-Bailly et Christine Cochenet sont les dédicataires privilégiées de cette pièce. Par leurs grandes qualités musicales, leur curiosité naturelle et leur goût pour les aventures sonores d’aujourd’hui, elles ont été des forces actives du processus de création.